Jusqu’au 28 août, le musée des Confluences de Lyon accueille “Sur la piste des Sioux”, une expo-événement dont l’étonnante collection d’un passionné bruxellois, François Chladiuk, est le clou.
Le clou? Le label colle vraiment aux boots de “Suske” (*) Chladiuk depuis les années ’70: c’était le nom du bar qu’il tenait en plein centre de Bruxelles, rue Van Praet face à la Bourse. Ambiance western déjà, avec plein de disques de Country sur le juke-box. Comme tous les “ketjes” d’après-guerre, François avait été biberonné aux aventures d’Hopalong Cassidy dans les bouquins de Clarence Mulford, aux films de John Ford, aux albums de Lucky Luke avant ceux de Blueberry. Dans ces années-là, c’était simple, on était Tintin ou Spirou, cow-boy ou Indien. “Moi, c’était d’abord cow-boy, parce qu’on n’était pas riches à l’époque et qu’on se faisait un Colt rien qu’en pointant l’index et en levant le pouce, ça allait plus vite que bricoler un arc et des flèches…” Aujourd’hui chevelure d’Indien, chemise Tex-Mex et Bolo tie à la mode de l’Arizona lui confèrent un statut un peu hybride, quelque part entre “Sitting Sus” et “Buffalo François”.


Sur cette photo prise par George Hyde, à Omaha, Nebraska, vers 1865-1880: les Indiens sioux Joe Merrivale, Young Spotted Tail, Antoine Janis, Touch-the-Nuages, Little Big Man, Black Cool. (Shutterstock)
Dessous, François Chladiuk dans son musée privé (on ne visite pas) avec l’image de l’Exposition Universelle de Bruxelles 1935 qui lui a permis de retrouver les familles de la tribu des Lakotas (Dakota) auxquelles appartenaient les trésors de sa collection.
Le look lui va bien, dans ce Western Shop qu’il a ouvert il y a 31 ans, toujours en plein centre de Bruxelles. On vient ici de tous les pays pour un shopping de vêtements et accessoires authentiquement U.S. ou mexicains (rien de Made in China), depuis les éperons d’argent jusqu’à la Winchester numérotée de collection. Dick Rivers était client chez François Chladiuk, passant cuirs et bottes dans la cabine d’essayage où John Wayne apparaît en trompe-l’œil. Bruce Springsteen aussi, comme Michel Sardou, Hugues Aufray, Renaud, beaucoup d’autres. “Malheureusement, pas encore Dolly Parton”, sourit François.
Si sa vaste boutique mérite la visite, les vrais trésors du collectionneur sont dans le petit musée très privé qu’il s’est aménagé au-dessus du Western Shop. Enormes photos murales de Peaux-rouges aux coiffes de plumes d’aigle, devant des tepees, vitrines emplies de gilets, parures et mocassins multicolores, dont une rarissime tunique de guerre Lakota ornée de crin de cheval et de cheveux humains. “Valeur? Inestimable! Il n’y en a que trois répertoriées et documentées au monde. Et celle-ci est sans doute la mieux documentée des trois”, glisse François Chladiuk, qui a consacré des années à reconstituer l’histoire de cette collection qui draine les foules au musée Confluences de Lyon, le musée le plus visité de France après ceux de Paris.
Ci-contre, une des très belles coiffes de plumes de la collection Chladiuk. Dessous, Buffalo Bill avec son vieux rival Sitting Bull, image de la collection Everett (Shutterstock).


Le mystère des huit malles au trésor
Une histoire rocambolesque, ou presque. Tout le monde, dans l’étroit milieu des brocanteurs et antiquaires bruxellois, sait depuis 1970 que François collectionne les objets du Far West. Il est de toutes les ventes où émergent les souvenirs des tournées de Buffalo Bill (1891 et 1906) en Belgique et les objets publicitaires “Indiens” dont le pays est riche. En 2004, une antiquaire lui propose huit malles en tôle bourrées d’objets et parures apparemment authentiques, mais non datés. Il achète le lot et découvre que tout cela provient de familles indiennes de la tribu des Lakotas (Dakota), venues à Bruxelles pour participer à un Wild West Show en marge de l’Exposition universelle de 1935, au Heysel. Dans la lignée des fameux « zoos » humains d’exposition, qui ont existé jusque dans les années 1960 (le Musée Africa de Tervuren accueillait l’expo « Zoo humains » jusqu’en mars). “Clarence Schultz, l’organisateur, surnommé “le cow-boy de l’Oklahoma”, payait les Indiens une petite cinquantaine de dollars par mois pour vivre dans leurs tepees et se produire à cheval. Comme pour les “villages africains”, ces zoos humains qu’on trouve honteux aujourd’hui, les spectateurs de l’époque y venaient nombreux. Ils n’avaient aucune autre occasion de voir cela, sauf au cinéma et encore. Les Indiens, de même, n’auraient jamais eu l’opportunité de quitter leur pauvre réserve. Ils ont profité du voyage pour voir l’Europe et fait un bénéfice supplémentaire en revendant leurs bagages avant le retour.”
Identifiés grâce aux cartes postales de 1935
Tout cela, François Chladiuk l’a découvert petit à petit. Les Indiens venus à Bruxelles en 1935 étaient entre autres la famille Littlemoon, de la tribu des Lakotas de la réserve de Pine Ridge (Dakota du Sud), la plus pauvre des réserves indiennes. Ce qu’ils avaient bradé est devenu, grâce à ses recherches, une des collections d’artefacts les mieux documentées au monde, authentifiée par les photos des Littlemoon – Francis, Wilson, Joe, Pauline, Rosa et Al – diffusées en cartes postales à l’Expo 1935. Une aubaine pour n’importe quel musée!
Sergio Purini, conservateur aux Musées Royaux d’Art et Histoire du Cinquantenaire, l’a saisie pour “Indians in Brussels”, une exposition en 2006. Celle-ci, à son tour, a attiré l’intérêt de RTL-TVI, dont le journaliste Alain Diels (Reporters) a proposé à François Chladiuk de l’accompagner aux USA, pour remonter la piste très effacée de ces fameux Indiens Lakota. Un voyage épique, entre souvenirs de William Cody – Buffalo Bill et incursion aventureuse dans les limites interdites de la réserve des Lakotas. “C’était vraiment paumé, un peu inquiétant même. On a fini, par un coup de chance miraculeux, par trouver un Indien qui nous a dit que des Littlemoon habitaient du côté de Wounded Knee, le lieu du massacre de 1890.Là, j’ai frappé à l’entrée d’une pauvre maison. J’ai montré au couple qui m’ouvrait la photo des Littlemoon. Sans dire un mot, la dame a disparu à l’intérieur. Elle est revenue avec la même photo, marquée Brussels 1935 World Exhibition… Bingo!”
Son livre a reçu l’Oscar du Western
Jamais sans doute autant de témoignages du mode de vie des Indiens n’avaient pu être identifiés aussi précisément. Du coup, les huit malles rachetées par le collectionneur acquéraient le statut d’une sorte de “capsule temporelle”. Prestigieuse aux yeux des Américains. François Chladiuk, avec l’aide de Steve Friesen, un des plus grands spécialistes U.S. de l’histoire indienne, en a tiré un livre aujourd’hui collector, couronné en 2017 du Western Heritage Award. L’Oscar du Western, décerné à des noms comme John Wayne, James Stewart, Kirk Douglas, Ronald Reagan. L’année suivante, le lauréat en était Kevin Costner.
Aussi précieuse soit-elle, la collection Chladiuk n’est pas à vendre. “Mon désir le plus cher est qu’elle ne soit pas démembrée, mais conservée dans un musée. Et exposée.”
Pas dans une réserve, compris? Sitting Sus a parlé. Stève Polus
Cet article est disponible sur papier dans le numéro 23 de ID-Mag ou sur le site du magazine www.id-mag.be
(*) en patois bruxellois, “Sus” ou “Suske” est le diminutif de Franciscus ou François. Autant savoir.


Du Grand Jojo à Bruce Springsteen...
… nombreux sont les passionnés du Far West américain qui sont devenus des clients et des amis de François Chladiuk. Bruce Springsteen, Dick Rivers ou feu le Grand Jojo ont fait le pélerinage au boulevard Adolphe Max.


...en passant par Renaud et Frank Dubosc
La fascination pour le vieux Far-West, sa liberté, ses modes de vie et ses légendes, semble à nouveau toucher toutes les générations après une éclipse de quelques décennies.
