Catherine François, le jaillissement créatif permanent

La ligne du temps est sans doute la seule à être à peu près droite dans l’existence de Catherine François, toute de bifurcations. Elle a commencé par étudier journalisme et communication avant d’obliquer vers l’antiquariat et puis surtout le dessin, la peinture, la sculpture dans lesquels elle s’est fait une réputation internationale. Je l’ai rencontrée après la découverte de son intrigant Tomorrows’ Man (L’homme de demain) . Une silhouette de bronze, penchée comme celle d’un skieur, mais dévorée d’étranges et gigantesques trous de ver. Ce thème du percement, communication entre des réalités différentes, qui semble évoquer les plus récentes avancées des physiciens sur la possibilité de “trous de ver” reliant des univers, elle continue à l’explorer. Tourbillonnant au départ d’incitants qu’elle trouve dans la nature, en forêt, sur la plage ou dans le bric à brac de son atelier — coquillages, souches d’arbres, feuilles, toupies — sa sculpture a évolué vers des formes polies, asymétriques, qui entrent en interférence par leur juxtaposition et aussi leur mouvement. Impossible donc de prévoir où ce mouvement s’arrêtera mais ce qui est sûr, c’est qu’elle continuera à bouger. “J’ai l’âge où on aimerait être en paix et ne plus se poser de questions. Mais la paix m’emm… Je ne veux surtout pas m’installer dans un système, même si c’est pour y exceller.”

En brefDessin, sculpture (bronze, terre, résine), céramique, installations & vidéo.Depuis quand?Depuis l'âge de 12 ans, mais les vrais débuts remontent à 1990.

La mer, c'est pour jouer, mais pas pour rire

Le « Tomorrow’s Man » (L’Homme de Demain) de Catherine François est devenu emblématique de Knokke le Zoute, où il affronte les vagues depuis 2019 sur un brise-lames de la plus branchée des plages belges. Sa silhouette de bronze percée de trous symbolise, pour l’artiste, la vanité du défi que lance l’Homme à une Nature toujours plus forte que lui.

Vers le site de Catherine François

La paix m’emm... Je ne veux surtout pas m’installer dans un système, même si c’est pour y exceller

Une sculpture aussi tactile que visuelle

On reconnaîtrait beaucoup d’œuvres de Catherine François les yeux fermés, rien qu’au toucher: formes fluides du bronze poli, ouvertures qui mènent vers des tourbillons internes et rappellent le pavillon de l’oreille. Posées en équilibre précaire, elles sont prêtes à se mettre en mouvement pour dessiner des orbes incertaines. “Comme si la vie reprenait le dessus sur les choses” dit-elle, en ajoutant qu’elle a parfois été inspirée par des rêves répétitifs de grandes vagues. Mais le rêve, éveillé ou pas, n’est que brouillard s’il ne prend pas racine dans la matière. Pour ce qui est de la matière, Catherine François est probablement native du signe Bricolo, ascendant Génial Léonard. Elle multiplie les expériences, confiante dans son instinct et dans les “accidents” qu’elle finit presque par attendre ou provoquer inconsciemment, tant ils lui offrent de bifurcations vers de nouvelles voies de création. Elle entasse aussi des trouvailles faites sur les plages, déchets plastiques, bois flottés, tessons de verre polis par le ressac, bouts de ceci et de cela, elle en a tiré une étonnante série de “tronches” qui mettent en accusation les têtes de… noeud qui polluent la Nature. Comme beaucoup de ses créations, c’est à la fois imaginatif, percutant, d’un humour grinçant et presque désespéré. Catherine adore aussi se confronter à des difficultés techniques: La création, pour moi, est aussi importante que le résultat.” Parfois c’est l’œuvre elle-même qui le poursuit, par exemple avec d’étranges toupies asymétriques qu’elle plaçait, comme une famille, sur un plan horizontal. Les intersections des orbes qu’elles décrivaient, tracées sur papier, étaient pour elle autant d’interférences entre énergies différentes que dans la réalité quotidienne des contacts humains, par exemple. Elle avait confié à ses “toupies” la mission de créer elles-mêmes dessins et peintures en tournoyant, et le résultat était frappant. “Ça m’ouvre plein de portes et je ne sais laquelle franchir”, disait-elle. Depuis, elle en a franchi plein d’autres et ce n’est pas près de s’arrêter. S.P.